Albert Camus et la peine de mort(卡繆和死刑 )

Pierre Goulange(Chef de la section politique, presse et communication, BFT)

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Image / La guillotiné en France

« Là où la peine capitale se veut dissuasive, exemplaire, réparatrice de l'ordre social menacé par le crime, elle manque son objectif car l'horreur de l'acte du criminel s'efface derrière la barbarie de la sentence ». Toute sa vie, comme Victor Hugo, Albert Camus a combattu la peine de mort et son inhumanité. Depuis son premier article, paru dans le journal de son lycée en 1931, jusqu’à ses Réflexions sur la guillotine, l’écrivain humaniste, récompensé du Prix Nobel de littérature en 1957, n’a jamais dévié de sa conviction abolitionniste. Aujourd’hui, le combat d’Albert Camus continue de nous interpeller, puisque 34 Etats et territoires pratiquent encore la peine de mort, parmi lesquels Taiwan. 

La lutte de Camus s’enracinait dans un dégoût viscéral que lui inspirait la peine de mort, dégoût évoqué notamment dans Le Premier Homme, roman autobiographique inachevé dans lequel Camus raconte combien son propre père avait été éprouvé par le spectacle la mise à mort d’un condamné. « Une anecdote racontée par ma mère veut que mon père rentra profondément bouleversé, mutique et nauséeux de l’exécution publique d'un condamné à la peine capitale. Ce dernier avait massacré une famille entière avant la guerre de 1914, à Alger. Mon père avait pourtant trouvé la peine prononcée juste et méritée ». Que s’était-il passé ? L’horreur de la scène avait révulsé le voyeur : « Au lieu de penser aux enfants massacrés, il ne pouvait plus penser qu’à ce corps pantelant qu’on venait de jeter sur une planche pour lui couper le cou. »

Pour Camus, la peine de mort est une « barbarie », à plusieurs titres. Elle est tout d’abord inefficace : elle ne dissuade pas les criminels, comme le montrent les statistiques. Elle n’est pas exemplaire non plus, car sinon, comment expliquer que les gouvernements « officient en catimini », et non « en pleine lumière » ? Au contraire, l’échafaud réveille le « sadisme » des foules. « Il n’est pas prouvé que la peine de mort ait fait reculer un seul meurtrier, décidé à l’être, alors qu’il est évident qu’elle n’a eu aucun effet, sinon de fascination, sur des milliers de criminels ». Elle est de surcroît irréversible. Or, la probabilité d’exécuter un innocent est « intolérable ». Au total, la peine de mort est pour Camus « un assassinat qui ne dit pas son nom ». 

Dans ses textes, Albert Camus semble parfois faire se rejoindre différents types de mise à mort, qu’il s’agisse d’assassinats, d’exécutions sommaires ou de peines capitales appliquées suite au jugement d’un tribunal. Ce dernier cas de figure est cependant plus grave aux yeux de l’auteur, car il constitue une sorte d’institutionnalisation raisonnée du penchant meurtrier de l’homme, même si la peine capitale se drape souvent dans des formes de langage, notamment les clichés véhiculés par les journalistes, que Camus entend démystifier. 

Mais face à un crime particulièrement odieux, n’est-ce pas tentant de vouloir se venger en exécutant son auteur? Camus lui-même a douté. La Seconde Guerre mondiale a mis en branle ses convictions abolitionnistes.  En 1944, la mort de plusieurs de ses amis résistants a amené Camus à soutenir quelque temps une politique d’épuration et à vouloir faire passer « la justice avant la charité ». Mais il est revenu très vite sur ce choix et a même demandé la grâce de collaborateurs, au-delà du mépris et de la haine qu’il éprouvait. Plus tard, il s’est souvent exprimé sur cette « crise de l’Homme » qu’illustrent l’existence et l’acceptation de la peine de mort dans nos sociétés modernes. 

Au cours des années 54/55, Camus a pris la défense de nombreux condamnés à mort en France, mais aussi au Vietnam, en Espagne, en Grèce, pour les militants communistes, les antifranquistes, les intellectuels et les condamnés politiques d’outre-mer lors de la décolonisation. Ses interventions ont permis de sauver la vie de nombreuses personnes. Jouant de son crédit littéraire, Camus s’engagea sans cesse pour « au moins sauver les corps ». Lors de la guerre d’Algérie, Camus apporta, à titre privé, son aide à plus d’une centaine de condamnés à mort en appuyant leur recours en grâce. 

Cette lutte contre la peine de mort dura jusqu’à la fin accidentelle de sa vie en 1960. Il avait 46 ans et venait de déclarer : « mon œuvre est devant moi ». D’une certaine manière, il avait raison : vingt ans plus tard, Robert Badinter, alors garde des Sceaux, se plaçait sous son égide et celui de Victor Hugo pour abolir la peine de mort en France, en 1981.

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Source: https://universiteouverte.u-cergy.fr/albert-camus-contre-la-peine-de-mort-histoire-dun-combat/